Feu unificateur

Il semble bien que la science ait fait des progrès en matière de traitements chimiques. Nicolas va beaucoup mieux et il est pratiquement prêt à pouvoir quitter la clinique pour rentrer chez lui. La situation de crise entre ses parents – qui avaient décidé de se séparer, lui avait valu le déclenchement d’une psychose et il avait dû être interné dans cette clinique. Ce n’est sûrement pas la seule raison qui aurait provoqué sa maladie, mais cet élément déclencheur semblait néanmoins évident.

Chaque jour, Nicolas a maintenant droit au soin d’une nouvelle infirmière nommée Carine. En plus d’être une femme au physique agréable, c’est une personne douce, très sensible et qui semble posséder un tact qui a pour conséquence de mettre Nicolas très à l’aise, ceci à tel point qu’il semblerait qu’il puisse développer de nouveaux troubles, juste pour ne pas devoir quitter l’établissement. De plus, la perspective de devoir rentrer chez lui, ne le rassure pas tant que ça.
Quotidiennement, Carine est chargée de lui administrer des soins et pour contrôler qu’il prenne bien ses médicaments. A chaque fois, c’est un moment de délice pour Nicolas, qui saisit l’occasion pour parler avec sa belle infirmière.
- Vous vous donnez beaucoup de mal pour faire ce travail avec moi, dit Nicolas.
- J’ai choisi de faire ce métier et il y a aussi des bons moments, répond Carine en lui adressant un sourire complice.
- Je suis tellement bien avec vous, que j’aurai envie de rester ici plus longtemps. Le psychiatre m’a dit que j’allais pouvoir rentrer chez moi, mais mes parents sont maintenant séparés et je devrai vivre seul avec mon père. Cela ne va pas être facile, je le sais.
- Oui je comprends, mais cet endroit n’est pas une résidence et donc pour cela il faudra peut-être envisager de trouver un autre logement qui sera plus adapté à vos besoins et surtout à proximité de notre clinique, car nous allons vous accompagner par un suivi régulier.
- Est-ce que je vous verrai toujours ?
- Je l’espère.
- Vous êtes gentille.

Carine sourit à son patient, puis elle s’en va et elle continue sa tournée matinale.
Elle est devenue infirmière en psychiatrie, car en plus d’avoir cette vocation elle a des perceptions extra-sensorielles, qui, bien qu’elles ne soient pas considérées par la science classique, lui donnent des avantages quant à sa façon de s’occuper des patients. Elle a un contact facile avec des cas parfois très sérieux et c’est la seule infirmière du service qui ne s’est jamais fait agressé par un malade. Ses chefs de services n’ont aucune conscience de son don naturel et ils sont simplement persuadés que c’est une personne très capable, à l’exception d’Olivier son chef de section, avec qui elle a déjà parlé de ces choses irrationnelles.

Au fil des jours qui suivent, Nicolas semble vraiment être amoureux de Carine qui a treize ans de plus que lui. Ce jeune homme de vingt ans, finit par le lui avouer un matin lorsqu’elle vient lui faire son soin :
- Vous êtes une très belle femme. Est-ce que vous avez quelqu’un dans votre vie ?
- Oui, répond Carine en dissimulant mal son mensonge.
Nicolas a très bien perçu qu’elle évitait son regard et il sourit. La complicité qui s’est installée entre eux depuis quelques jours, fait qu’elle ne peut pas lui mentir.
- Ca c’est mal terminé, demande Nicolas ?
- Eu, oui, mais c’était mieux comme ça.

Comment peut-il savoir cela ? Elle ne lui a jamais parlé de sa vie intime et il a visé droit dans la cible. Elle comprend bien dans le fond que dans un hôpital psychiatrique il puisse y avoir des personnes qui perçoivent des choses, mais là c’est du concret et c’est tellement précis, qu’elle en est quelque peu déstabilisée.
- De toute façon, je suis trop âgée pour vous, dit Carine.
- J’aime les femmes comme vous, je ne suis pas attiré par les femmes de mon âge, répond Nicolas.
Carine ressent un mélange de flatterie et de gêne. Elle apprécie beaucoup ce jeune homme qui est quelqu’un de très doux et très sensible. Elle est désemparée, car elle aimerait l’aider, mais elle ne sait pas comment elle va devoir agir pour garder une distance respectable. Nicolas n’est pas le genre de personne à qui elle peut mentir, car celui-ci perçoit très bien ce qui est vrai ou faux. Il est peut-être malade, mais elle obligée d’être intègre et vraie avec lui, car une affinité s’est créée entre eux.
Elle se dit qu’elle a peut-être fait un excès de zèle. Dans le fond elle ne fait que son travail, mais elle doit avouer qu’elle ne s’était jamais préparée à devoir affronter ce genre de problème.

Le lendemain, Nicolas remet une nouvelle couche. Il n’ose heureusement pas lui faire des avances, ni essayer de la toucher, mais son regard la gêne, car là, il est sans limite. Dès qu’elle entre dans sa chambre, il ne la quitte pas du regard et cela fait qu’elle est obligée d’écourter le soin. Il n’y a presque plus de dialogue entre eux. Carine a pris l’habitude de prendre un peu de temps pour parler avec ses patients et au début du traitement de Nicolas, elle lui a même pris la main pour le rassurer, mais là, c’en est trop et elle ne peut plus rien faire dans ce sens. Elle essaie d’éviter de le froisser, mais il le sent très bien. Elle s’apprête à quitter la pièce, ouvre la porte et Nicolas lui dit :
- Vous ne m’aimez pas ?

Bouche bée, d’un air béa avec la bouche grande ouverte, Carine met la main sur son cœur et hoche la tête d’un air désolé. Elle soupire « Haaa… » puis elle s’en va en fermant la porte.
Elle est obligée de se confier à Olivier en lui faisant part de ce qui se passe. Bien conscient du problème, il lui demande si elle veut une personne d’assistance :
- Peut-être que tu pourrais être accompagnée par une de tes collègues, ou alors il faudrait que je sois présent pour les soins. De toute façon ce jeune homme va partir très prochainement. C’est une question de quelques jours.

Les jours qui suivent se passent sans encombre. Nicolas est aux anges avec Carine, mais il a du respect pour elle, ce qui fait qu’il ne la harcèle pas. Olivier s’enquiert de savoir comment cela se passer et il se trouve ainsi régulièrement dans les parages lorsque Carine va dans la chambre à Nicolas. Ce dernier l’a bien remarqué et il ne peut s’empêcher de l’évoquer :
- Pourquoi le chef vous surveille-t-il ?
- C’est mon chef et il est responsable de ce service.
- Mais il ne le faisait pas avant. Vous avez peur de moi ?
- Non je sais que vous êtes quelqu’un de bien, mais nous avons des protocoles et donc je suis soumise à tous ces règlements et je suis bien obligée de les respecter.

Chaque jour, Carine doit faire un compte-rendu sur cette situation particulière et pour l’instant tout va bien. Elle n’a rien à craindre de Nicolas qui n’a fait que de dire tout haut ce que d’autres auraient pensé tout bas. Elle se dit que finalement elle n’aurait peut-être pas dû en parler à Olivier, car cela aurait un peu tendance à ajouter de la tension et surtout du travail supplémentaire.
L’état de Nicolas semble stable et en amélioration, mais la dernière visite du médecin lui vaut de rester quelques jours supplémentaires. Il est vrai que Nicolas et Carine ont une très belle affinité, mais elle se demande finalement si c’est une bonne chose que son séjour soit prolongé, car elle a quand même l’impression qu’il s’accroche un peu à elle et que son état semble être influencé. Comme il ne se passe rien d’anomal et que finalement la santé du patient est considérée en priorité, les jours continuent de défiler sans histoire.

Olivier a pris l’habitude de recevoir Carine pour parler de la situation et maintenant à chaque fois qu’elle entre dans son bureau, Nicolas trouve un moyen de se faire remarquer. Au début, on n’aurait pas cru que ce phénomène était lié au fait que Carine doit maintenant aller plus régulièrement dans le bureau de son chef, mais cela se passe toujours précisément à ce moment là. La première fois, Nicolas a simplement appuyé sur la sonnette pour alarmer le service ; il avait trop soif. La seconde fois, il s’était mis à hurler ; il était soi-disant en train d’étouffer. En bref, à chaque fois que Carine entre dans le bureau d’Olivier, Nicolas se met à faire du tapage.

- Est-ce que tu crois qu’il est courant que l’on se voit spécialement pour parlez de lui, demande Olivier ?

- Bien entendu, répond Carine, il m’a demandé pourquoi tu venais désormais nous surveiller quand je vais lui faire son soin. C’est une personne très délicate et très sensible. En plus de sa pathologie, il a une acuité très spéciale qui fait qu’il est absolument  impossible de lui mentir.
- Donc tu lui as parlé de notre protocole ?
- Je lui ai simplement dit que je devais respecter les protocoles, mais je ne suis pas allé dans le détail. De toute façon, comme je te l’ai dit, on ne peut pas mentir à ce jeune homme. Maintenant est-ce qu’il est nécessaire que nous allongions ce protocole, car j’ai l’impression que ça n’arrange rien et que cela pourrait même faire empirer la situation.

- Peut-être que tu aurais besoin d’avoir quelqu’un dans ta vie.
- Comment ça quelqu’un dans ma vie ? C’est un patient et il est très jeune. Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?
- Je ne parle pas de lui.
- Je ne vois pas le rapport avec la situation.
- Si tu étais en couple avec quelqu’un, Nicolas ne ferait peut-être pas tant de foin.
- Qu’est-ce que tu essaies de me dire ?

Olivier fixe Carine d’un regard qui la met mal à l’aise. Elle rougit.
- Je dois y aller, dit-elle, je dois voir ma mère tout à l’heure.

Cette fois c’est le bouquet, la voilà prise entre deux prétendants. D’un côté elle a un patient qui est trop jeune pour elle, en plus d’être malade, et de l’autre côté elle a un chef de service qui bien qu’il soit marié, lui fait comprendre qu’elle pourrait éventuellement être son amante. Ce n’est surement pas cela qui arrangerait les choses et pour Carine qui est une personne plutôt intègre et sincère, c’est une situation impossible.

Elle arrive ce soir chez Françoise sa mère qui l’a invitée à dîner. Cette dernière perçoit le malaise. Carine a les yeux rouges et elle évite le regard de sa mère qui lui demande :
- Dis-moi ce qui ne va pas ma fille, en lui prenant les mains !

Carine lui explique la situation.  Françoise lui fait comprendre qu’effectivement si elle retrouvait un compagnon, cela réglerait le problème, mais qu’il faudrait qu’elle puisse prendre un peu plus de temps un sortir et s’amuser, car depuis sa séparation avec son ex petit ami, elle est cloîtrée et elle est devenue hermétique.

Carine se dit qu’elle a besoin de temps et que cette situation est vraiment intenable, elle ne pourra pas tenir le coup.

Olivier est aussi amoureux de la belle Carine. Nicolas s’en est bien rendu compte, il est jaloux et il se manifeste comme il le peut. Il opère par le chantage, les menaces de suicide et les provocations de plus en plus évidentes. Le pire c’est qu’Olivier s’est pris au jeu et ne lâche pas le morceau. Carine est sérieusement en train de se demander lequel des deux est le malade.

Soudain, c’est le burnout, Carine doit être arrêtée. La situation était devenue impossible. Plusieurs semaines se passent. La direction a convoqué Carine pour faire le point. On lui propose de changer de service. Elle n’a pas osé parler des avances d’Olivier, mais la directrice principale a très bien compris la situation. C’est pour cette raison que Carine a la possibilité de changer de service. Nicolas est sortit de l’établissement, mais Olivier semble fidèle à sa nature, à sa femme et à ses maitresses.
Dans le fond, Carine aime bien Olivier et elle sait que pour lui les femmes sont un sport et que même si elle ne partage pas sa vision de la chose, elle peut très bien continuer à travailler avec lui. Elle reprend donc son travail dans le même service. Ceci arrange bien les choses, car la direction peut classer l’affaire sans avoir à enquêter sur le cas d’Olivier et de ses inclinaisons intimes. Apparemment la directrice semble s’en régaler, car il semble bien qu’elle fasse partie du tableau de chasse d’Olivier. Après tout, ils sont grands et ils font ce qu’ils veulent.

Une semaine plus tard, comme par un hasard qui n’existe pas, Nicolas est à nouveau interné au même service. Cette fois Olivier prend conscience de la gravité de sa position et décide d’agir de façon un peu plus sage. Cette fois, il n’y aura plus de protocole "spécial" et Carine pourra passer du temps pour parler avec Nicolas, sans qu’ils aient l’impression d’être surveillés. De ce fait, la situation s’améliore et Nicolas ressort à nouveau de la clinique. On lui a trouvé un petit studio surveillé à moins d’un kilomètre de l’établissement. Il vient faire des consultations une fois par semaine et il en profite à chaque fois pour venir parler avec Carine.

Carine est infirmière, mais elle étudie en parallèle le chamanisme sibérien, car elle croit que ce genre de technique traditionnelle peut compléter les traitements que l’on opère avec la chimie. Elle a maintenant enfin rencontré un petit ami et cela se passe bien. Grichka est d’origine russe et il emmène Carine à Tuva au Sud de la Sibérie  pendant les vacances d’été. Ils se rendent chez un vieux chamane qui est un oncle du père de Grichka. Le vieil homme va les initier au rituel ancien du feu. Cela consiste simplement à fixer le feu du regard pendant trente secondes, puis de se concentrer sur le phosphène qui apparaît lorsqu’on ferme les yeux, en l’associant à une pensée. Carine associe l’expérience au cas de Nicolas, se disant ainsi que si elle découvre un moyen de l’aider de cette manière, cela pourrait être une manière d’apporter de l’eau au moulin dans ce monde où la science n’a pas encore pu cerner tous les mystères de la nature.

Elle fixe le feu pendant une trentaine de seconde. Le chamane entonne une chanson dans sa langue autochtone. Elle ferme les yeux et observe le phosphène. Elle n’avait jamais vu le feu de cette manière. Elle voit d’abord le centre de la flamme qui est vert clair et qui est entouré d’une aura orange, puis tout se concentre en rouge vif. Elle voit une petite boule de couleur rouge sang et cela reprend la forme d’une flamme. Sa vue s’approche, comme si le phosphène était réactif à sa conscience. Elle se sent attirée comme par une force qui l’emmène à l’intérieur. Elle a l’impression de passer par une porte et elle se trouve maintenant dans un vide qui l’apaise. Elle ressent une paix incroyable.

Le vieux chamane leur explique ensuite, que les premiers hommes ont développés les facultés de la langue parlée et de la mémorisation de concept, il y a de cela des milliers d’années. Depuis la maîtrise du feu il y a quatre-cent-mille ans, les humains ont pu commencer à expérimenter le phosphénisme, mais cela s’est perdu au fil du temps.

De retour de vacances, Carine parle bien entendu de cette expérience à Olivier et lui demande son avis quant au cas de Nicolas, à savoir si ce genre de pratique pourrait améliorer son état mental. Comme Olivier est ouvert à ces choses là, il propose d’en toucher un mot de façon confidentielle à la directrice. Comme cette dernière ne peut pas résister à son charme, elle accepte que l’expérience soit faite de façon non officielle.

Depuis cette expérience si simple et pourtant incroyable, Olivier semble avoir pris conscience de sa chance d’avoir une famille et cela le transforme ; il devient soudainement un père et un mari très correct et surtout fidèle à son unique femme. La directrice a quitté l’établissement pour un poste mieux rémunéré ailleurs. Carine s’est mariée avec Grichka. Nicolas a trouvé une petite amie qui a cinq ans de plus que lui. Ses consultations n’ont plus lieux toutes les semaines, mais uniquement une fois par mois.

Carine et Nicolas accompagnée de sa fiancée, ont formés un groupe de rencontre pour l’étude du phosphénisme dans le but d’aider les jeunes à développer leur mémoire et d’autres capacités extra-sensorielles. Ils aimeraient que ce genre de pratiques soient prises en compte et intégrées dans l’établissement où travaille Carine, car il semble que le psychiatre qui s’occupe de Nicolas soit ouvert à ce genre de chose non conventionnelle. Ceci n’est qu’une histoire d’avenir, bien entendu, mais si les traitements chimiques évoluent et que l’on permet d’y ajouter des compléments naturels, on pourra peut-être arriver à des résultats de totale guérison, qui sait ?

Jean-Marc Baudat

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