Voyage au cœur de la terre

Le voyage d’Amélie Deschamps

Enfin, elle va réussir à voyager au centre de la terre. Amélie Deschamps est une exploratrice en herbe. C’est une enfant qui n’a pas grandi. Elle est donc certainement un peu manipulatrice et très peu sûr d’elle. Finalement ce n’est pas une mauvaise personne. Elle a une soif de connaissance et de vérité absolue. Elle dévore tout ce qui est scientifique, pseudo-scientifique, philosophique et surtout polémique. Elle a depuis longtemps l’idée que le voyage au centre de la terre de Jules Vernes, est quelque chose de possible.


Amélie est une femme au foyer, mère de famille avec un enfant qui va bientôt quitter la maison. Cette situation la perturbe, car elle va devoir réorganiser sa vie et elle sera obligée de s’occuper d’elle-même. C’est justement ce qui est difficile pour elle, car toute sa vie a été basée sur son foyer et le départ prévu de son fils, lui donne l’impression de ne plus servir à grand-chose. Son principal avantage dans la vie, n’est pas l’argent, car son mari a une situation confortable et elle n’a pas à s’en soucier. C’est donc plutôt sa foi en une existence divine, sans pour autant être religieuse qui lui donne la force de vivre. Elle croit en un esprit créateur qui échappe à l’image que l’on peut en faire de lui. C’est donc une quête du grand esprit qui la pousse dans ses recherches qui l’amènent à œuvrer dans le cheminement de développement personnel. 


Antoine, son mari, est un homme d’affaire très cartésien et, bien qu’il ne soit pas trop spirituel, fait des efforts pour écouter les histoires de sa femme, concernant le domaine des réalités non ordinaires.  Assis dans le salon de leur villa de campagne, le couple se dispute sur le sujet de la réalité ordinaire. Antoine est persuadé que tous les intérêts de sa femme – en ce qui concerne les nouveaux paradigmes de la spiritualité, ne sont que des superstitions et les phénomènes dont elle lui parle souvent, ne sont que des conséquences créées par son propre esprit. Amélie a voulu s’initier au néo-chamanisme et elle a découvert son animal de force, ainsi que son guide.


« Toutes ces choses, se passent dans ta tête, lui dit-il. Cela n’a pas de substance ailleurs qu’en toi-même, à l’intérieur de toi-même.
– Cela par contre c’est une théorie, rétorque-t-elle.
– Comment ça une théorie ? Est-ce que tu as des preuves concrètes que ces choses existent en dehors de toi, de ton esprit ou ton imagination ?
– Mon expérience me le prouve et en ce qui concerne les preuves, ce que tu prétends ne l’est pas non plus. Dans ma tête il n’y a rien de tout ça. Mon cerveau est un centre de neurones où on y trouve plein de belles choses comme de la chair du sang, des nerfs, etc. La mémoire et la conscience sont ailleurs.
– Comment peux-tu dire ça, qu’est-ce-que tu en sais vraiment, demande Antoine ?
– Ce que j’ai appris, c’est que les scientifiques actuels les plus avancés dans ce genre de recherche, prétendent qu’ils ne savent toujours pas où est stockée notre mémoire. Selon certains, elle serait une bande passante, comme les réseaux électromagnétique que nous pouvons capter et qui circulent dans l’espace. En ce qui concerne la conscience, le cerveau est peut-être le centre de contrôle et de décision de l’être humain, mais l’esprit est au delà de la chair et il est autant présent dans le cœur et les tripes que dans la tête. »


Antoine est persuadé que sa femme est une douce rêveuse du genre ”bobo” comme la plupart de ses amies qu’elle fréquente, mais il n’ose pas le lui dire, pour ne pas la blesser. Amélie le perçoit pourtant bien et c’est pour cela qu’elle passe à l’attaque :
 « Parce que tu crois peut-être que cette réalité dans laquelle nous sommes actuellement, est la seule réalité de l’existence et que l’on doit s’en contenter ?
– Ce n’est pas que je m’en contente, mais plutôt le fait que je n’en connais pas d’autre, répond Antoine.
– Pourtant tu rêves la nuit, non ?
– Oui, mais on parle de réalité.
– Eh bien justement, il y a des rêves prémonitoires ou même parfois des rêves initiatiques et c’est quelque chose de bien réel.
– Pas pour moi, dit Antoine.
– Pour moi, cela est autant réel que le monde ordinaire. Quand je suis allé faire mes initiations chez le chamane, j’ai découvert que mon guide est quelqu’un qui existe vraiment et qui est même très présent, alors que nous sommes éphémères et temporaires dans ce monde. Il m’a fait comprendre qu’il m’aimait inconditionnellement.
– Qui ça, le chamane ?
– Mais, non, mon guide.
– Mais cela n’existe pas, voyons, tu le sais bien que c’est ton imagination. Je pense que c’est simplement un fantasme.
– Et pourquoi devrais-je avoir des fantasmes, tu penses que tu n’es pas un mari à la hauteur ? »


Antoine sourit et embrasse sa femme. Il ne veut pas de ce conflit, bien qu’au fond de lui-même il s’inquiète, ce qui énerve sa femme.
« Tu crois que je suis folle ?
– Non, pas du tout, mais je pense que tu es une douce rêveuse, comme ton amie Chloé par exemple.
– Ah oui ! Au moins, elle a la chance d’avoir un mari qui s’intéresse à ce qu’elle fait et qui ne la dévalorise pas.
– Mais je ne te dévalorise pas, je te dis simplement que je ne crois pas à ces choses, c’est tout.
– Oui, mais à t’entendre, on dirait que je devrais aller consulter un psychiatre.
– Mais non, pas du tout, mais c’est juste que ça m’ennuie d’entendre des histoires auxquelles je ne crois pas.
– Ah bon, et ton ami le pasteur Rochefort, tu crois qu’il ne m’ennuie pas avec ses bondieuseries. Son copain imaginaire, le barbu qui vit là haut ou je ne sais pas trop où, est-il réel ou tout cela n’est-il que dans sa tête, comme tu me le dis si bien ?
– Là, c’est différent, ne mélangeons pas tout !
– Ah oui et pourquoi son bon Dieu, serait-il plus réel que mon guide ou mon animal de force ?
– Non, je dis que c’est différent, car je te rappelle que Rochefort est peut-être un ami sincère, mais il me permet de faire des affaires. Grâce à lui j’ai des portes ouvertes.
– Eh bien moi aussi j’ai des portes ouvertes sur une autre perspective et il s’agit d’un enrichissement intérieur. »


Admettons que dans cette palabre, le bon Dieu a marqué un point. Antoine est l’ami d’un pasteur qui lui présente des clients, tandis que le chamane d’Amélie n’a que des espèces d’esprits purement inconnus et qui n’enrichissent d’ailleurs que l’intérieur. Il est clair que dans ce cas, les bonnes vieilles bondieuseries qui font bon ménage avec les affaires, vont forcément beaucoup plus intéresser ce cher Antoine. Cela ne décourage absolument pas Amélie qui continue sa quête de connaissance de soi.


La famille d’Antoine est persuadée qu’Amélie est le genre de personne quelque peu déséquilibrée et qui serait facilement le genre de personne à se retrouver dans une secte. Amélie se sent étrangère et totalement incomprise. Elle souffre de cette situation et elle s’aliène sa propre famille. Fidèle à elle-même et à ses convictions, elle s’accroche et décide de ne pas se laisser influencer par son entourage. Elle est comme un voyageur dans un pays lointain et elle s’adapte à sa situation tout en continuant à cheminer dans sa voie.


Un jour elle tombe sur un article qui parle de la voie de l’alchimie interne taoïste. Elle se lance corps et âme dans cette voie qui lui semble la seule véritable possibilité de répondre à ses questions existentielles. Elle se met au taiji quan, au qi gong et à certaines pratiques méditatives basées sur la respiration. Sa vie change radicalement dès ce jour, car elle perçoit des choses qui lui donnent une nouvelle vision de la vie et du monde. La culture chinoise est tellement différente de la notre que le fait de s’y intéresser et de s’y prolonger tant soit peu, modifie sa conception liée au verbe en général. Dès ce jour, elle n’affirme plus rien, car pour elle, rien n’est absolu et donc tout est relatif, contrairement à ce que sa culture a eu tendance à lui enseigner.


Désormais Amélie est une femme heureuse et comblée. Elle a du temps libre et peut se passionner pour ces diverses pratiques que propose sa voie. On lui enseigne la voie du cinabre, qui consiste d’abord à développer la posture du corps, puis le geste en relation avec des techniques de concentration. Le cinabre est une micro-particule de sulfure de mercure qui est censée être créée dans les intestins ou champ du cinabre inférieur. Il existe trois centres que l’on appelle champs du cinabre. Ce sont le cerveau, le cœur et les intestins. Ces trois centres neuronaux représentent le véritable potentiel d’intelligence humaine. Les chinois appellent cet ensemble ‘les trois champs du cinabre‘. Quand les trois champs sont alignés et que l’on se concentre dans celui du bas, la particule de cinabre prend vie. La sensation que procure ce genre de pratique, c’est la découverte d’un sixième sens physique. Cette sensation de papillons dans le ventre que l’on ressent quand on est amoureux, c’est ce mini organe des sens qui se situe dans l’intestin. Ce sixième sens physique, c’est le goût de la vie, la joie de vivre et c’est cela se passe où naît le souffle vital qui circule dans les méridiens du corps.


Amélie est tellement passionnée et assidue par sa pratique, qu’elle ne cesse d’évoluer dans ses exercices et fait des découvertes surprenantes sur la nature du corps humain. Elle découvre que les femmes ont en général une énergie vitale très subtile et très puissante, contrairement aux hommes qui ont une plus grande force physique, mais dont la résistance nerveuse n’est pas aussi performante. Elle obtient assez rapidement des dons de guérisseuse et se fait connaître dans l’art d’imposer les mains pour apaiser les douleurs. Elle peut couper le feu et les hémorragies. Elle peut communiquer à distance et aider les gens à guérir pour divers problèmes de santé.


Elle en arrive à un tel point de notoriété qu’elle est quasiment capable de vivre de façon indépendante. Son mari en ressent un certain malaise, car pour lui qui croyait être indispensable et tellement supérieur, c’est la claque. Il décide de l’inviter à un petit restaurant sympa pour tenter de recoller les morceaux et surtout pour essayer de comprendre ce qui lui arrive. La soirée se passe bien et elle se termine au lit avec des ébats amoureux dignes de leur première jeunesse. Antoine s’endort confiant et apaisé. Amélie est couchée sur le dos et fixe le plafond. Elle ressent la présence de son guide et elle ferme les yeux. Elle voit une spirale comme si elle percevait la voie lactée et ce tourbillon l’emmène vers un monde parallèle. Des images apparaissent et elle perçoit des lettres, puis un mot entier : « VITRIOL ». Elle ne sait pas à quoi cela correspond, mais elle trouve cela intrigant. Le lendemain matin elle se livre à un exercice d’acrostiche avec ces lettres et en conclut que VITRIOL c’est sûrement : Vision Intérieure Te Rendant Immortelle Ou Libre.
Chaque soir Amélie s’endort avec cette vision de spirale et cette impression de passer par une porte d’une autre dimension. Elle voit des images, des lettres, des visages et cela en devient des capacités de voir le passé ou le futur. Au fil du temps elle développe ces perceptions et cela n’altère pas sa soif de connaissance de l’absolu.


En parlant avec une de ses amies, cette dernière lui présente un jour André, un ami qui prétend être alchimiste. Amélie lui confie ses expériences en alchimie interne et sa découverte de son VITRIOL et de l’acrostiche qu’elle en a fait. André lui explique que cela doit avoir un sens avec l’alchimie opérative dont il se targue. Puis il dit :
« En alchimie, V.I.T.R.I.O.L. est l’abréviation latine de : Visita Interiora Terrae Rectificando Invenies Occultum Lapidem et cela se traduit par : Visite l'intérieur de la terre et, en rectifiant, tu trouveras la pierre occulte.
– Intéressant dit-elle, mais qu’est-ce que cela veut dire au juste ?
– C’est la formule de la pierre philosophale.
– Ce qui permet de transformer le plomb en or ?
– Oui.
– Et est-ce que vous pouvez le faire ?
– Oui.
– Pouvez-vous me le montrer.
– Oui, mais cela ne se fait pas en cinq minutes.
– J’ai tout mon temps. »


Finalement, Amélie n’assistera jamais à ce genre de démonstration. Faute de temps du dit opérateur, faute de ci et faute de ça. Était-ce vrai ou était-ce du bluff ?
Entre temps elle se renseigne sur le sujet et elle est forcée de croire que cela est impossible, car un procédé chimique ne peut pas modifier l’atome. Elle se confronte à un nombre de beaux parleurs qui prétendent être des alchimistes opérateurs à l’ancienne et s’aperçoit que ce sont tous des charlatans. Dans sa voie taoïste elle apprend à incendier son cinabre dans son creuset (ventre) par un travail de concentration et découvre que ce procédé libère le mercure. Le cinabre état un sulfure de mercure, si on lui met le feu, il ne reste que du mercure, ou du moins c’est l’ingrédient qui nous intéresse. Ce métal liquide est un poison mortel qui existe en quantité infime dans le corps. Il est principalement localisé dans le cerveau. Nous en absorbons en mangeant des produits marins. Cette substance est nécessaire à la vie. C’est le carburant du souffle vital qi ou chi qui circule dans les canaux d’énergie. L’atome du mercure est très proche de celui de l’or et par l’ionisation on peut transformer ce mercure en or. 


Tout à coup, lors d’un exercice de médiation, elle a une vision de cet or alchimique. Elle se demande si cela vient de ses exercices sur son champ de cinabre.
Elle continue à chercher et rencontre d’autres alchimistes qui semblent plutôt être des fumistes en quête de notoriété et d’agent, mais jamais rien de bien sérieux. Elle est très déçue par toutes ces rencontres et ces gens qui brassent du vent “en veux-tu, en voilà“. On dirait que l’alchimie ancestrale a soit viré vers des exercices internes qui procurent une grande richesse intérieure et une belle énergie, soit vers un système de communication verbale codifiée et qui sera le beurre des manipulateurs prétendant savoir et n’étant le plus souvent que des fourbes bateleurs.


Elle découvre même que le pèlerinage de Saint Jaques de Compostelle est devenu un business. Autrefois, les pèlerins faisaient ce voyage pour terminer à la plage de ce lieu célèbre, où ils allaient y récolter l’antimoine qui se trouve dans les coquillages pour y procéder à l’œuvre. L’antimoine est l’équivalent du cinabre. Il sert à l’opération de transmutation. Compostelle c’est le composte d’étoiles. Actuellement il est possible de ne faire que les cent derniers kilomètres de ce pèlerinage, où on tamponne à chaque étape et où on reçoit un diplôme à la fin du voyage. Ceci est utilisé pour le CV et c’est donc utile pour se faire engager dans une entreprise. La véritable quête s’est perdue, sans doute à cause du fait que l’on peut désormais prouver que la scission d’atome n’est possible que par un procédé de ionisation et que le corps peut le faire, à une échelle minime, mais réelle.
 

Un soir, Amélie est sur le point de s’endormir et elle voit sa spirale et son or alchimique qui illumine sa vue interne. Comme d’habitude elle se laisse attirer et emmener par les phosphènes et voit des images. Soudain elle comprend un nouveau sens pour la formule VITRIOL. La visite de l’intérieur de la terre c’est son ventre, ses intestins, son cinabre. La rectification c’est son alignement de posture et ses exercices respiratoires. La pierre occulte c’est le cinabre. Elle décide de s’y plonger et découvre émerveillée le centre de la terre. Elle vient de mettre au monde une Amélie miniature dans son ventre. Cette Amélie là, a la capacité de voyager entre les mondes.

A-t-elle découvert le sens caché du conte de Jules Vernes ?


Son aventure ne ferait alors que commencer.

Jean-Marc Baudat

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Texte rédigé à l'aide des hexagrammes du Yi jing

Le héro (Amélie) c’est l’hexagramme H56 (le voyageur)

Son problème c’est de nouveau H56, c’est une douce rêveuse qui passe pour personne un peu fleur bleue et pas du tout sérieuse.


La solution c’est H1 le ciel, le créatif. Elle rencontre son guide du ciel dans un voyage chamanique.


La complication c’est qu’elle est tentée de se laisser embarquer par des bonimenteurs et des charlatans. H57 le doux, le vent, la soumission.


La finalité c’est H43. Résolument résolue, elle fait une découverte surprenante. Le voyage au centre de la terre de Jules Vernes serait une métaphore de la découverte de soi.

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