Le sceptre de la vouivre

1. Le rêve

L’essentiel dans la vie, c’est peut-être bien de devoir se souvenir du futur, car il se pourrait bien qu’il soit déjà passé. Julien se réveille après avoir fait un rêve étrange. Peut-être était-ce un rêve prémonitoire. La scène se déroule derrière la maison familiale, dans la campagne. Julien est en train de creuser le sol pour y planter un arbuste. Une vouivre jaillit de la terre et se dresse contre le jeune homme qui en bascule sur son postérieur, terrifié.
« Pourquoi viens-tu me déranger, lui dit la vouivre ? 
Abasourdit et incapable de prononcer un mot, le garçon se tiens assis, les mains sur le sol et sa respiration est haletante.
  Calme-toi et rassure-toi, lui dit la vouivre, je ne vais pas te faire de mal, mais tu dois savoir que tu as creusé le sol sur une ligne de réseau terrestre dont je suis la gardienne.
  Je suis désolé, dit Julien, je ne savais pas que je faisais cela. Qu’est-ce qu’une ligne de réseau ?
  C’est une ligne de son. Elle te permet de communiquer avec d’autres personnes qui se trouvent à des distances parfois très éloignées.
  Comment pourrais-je utiliser cela ? »
La vouivre replonge dans la terre et en ressort avec un sceptre dans la bouche. Elle le tend à Julien et lui dit qu’il peut l’utiliser pour établir une communication avec une personne à distance. La condition est qu’il doit se placer sur le lieu précis où il a creusé le sol et qu’il doit se diriger dans une des deux directions de la ligne Nord-ouest et Sud-est pour tendre le sceptre et établir une communication. Il s’exécute et il pointe le sceptre en direction du Sud-est. Il perçoit brièvement le visage d’une fille aux yeux clairs et aux cheveux foncés, puis soudainement il se réveille.
Julien est troublé par ce rêve et il se demande ce qu’il peut signifier. Après une brève toilette, il sort pour se rendre sur le lieu du rêve, juste derrière la maison. Il se dirige vers le Sud pour y scruter l’horizon et s’aperçoit que cette direction rejoint la ville qui est le chef-lieu de sa région.

Julien Jaques est le quatrième garçon d’une famille d’agriculteurs. Ses parents sont des protestants affirmés, ce qui veut dire que chaque dimanche, la famille entière se retrouve au culte dans le temple du village. Cela ne dérange pas le jeune homme qui est un fervent croyant. Le jour de ses dix-huit ans, une fête est organisée en son honneur et malencontreusement un de ses amis lui envoie une vanne qui sous-entend qu’il serait temps pour lui de trouver une petite amie. Son problème n’est pas le fait qu’il soit laid, bien au contraire, mais plutôt la raison qu’il est peut-être quelqu’un d’un peu trop spirituel pour les filles qui seraient censées l’intéresser. 
C’est un garçon très fort et qui a très belle allure avec des cheveux blonds et des yeux bleus. C’est une personne tellement intègre et respectueuse de l’éducation religieuse que lui ont donné ses parents, qu’il est toujours vierge à son âge. Son entourage s’inquiète un peu, au point qu’on lui demande s’il n’est pas gay. Cela a tendance à le fâcher et c’est ce qui lui donne aussi l’envie de partir de son village, car il se dit que dans une ville avec plus d’habitants, il pourra plus facilement trouver l’âme sœur. Sa foi religieuse l’empêche d’avoir des relations superficielles et cela devient un problème, car tous ses copains ont déjà conclut depuis des lustres. 

Un jour, un de ses amis l’emmène vers la Capitale pour lui montrer des filles de joie. Impossible, le jeune homme ne veut pas avoir sa première relation avec une prostituée, ni aucune expérience que ce soit et quand que ce soit dans ce genre là. Il préfère attendre sagement la bonne occasion. Il n’arrive pas à trouver le juste milieu entre la religion et la vie ordinaire qui consiste à accepter l’imperfection et donc de coucher. Ses parents sont très fiers de lui et toujours prêts à le soutenir, mais ils n’accepteraient certainement pas que leur plus jeune fils tourne mal dans le sens de devenir un dévergondé. 
La religion chrétienne a une telle place dans la famille, que finalement tout se passe bien, en apparence. Ses trois grands frères sont déjà mariés avec trois femmes de confession protestante. Il va de soi que Julien va certainement rencontrer une fille compatible dans cette optique, bien entendu. Dans cette famille, chaque personne doit faire des tests de compatibilité avant qu’une union soit acceptée par l’ensemble du clan. Il s’agit pour chacun des deux genres du couple de remplir un formulaire qui sera soigneusement examiné par le père.

A vrai dire, julien souffre de cette situation. Le fait d’être trop bigot ne procure pas la joie de vivre lorsqu’on est jeune. Pourtant il ne peut pas renoncer à sa foi qui le maintient dans cette position de jeune homme coincé. En plus d’être enfermé dans ce contexte campagnard et lourdement religieux, il a un goût particulier pour la musique exotique comme la salsa ou les rythmes africains, ce qui déplait totalement à ses chers parents et plus précisément son père qui est peut-être un peu xénophobe, voire raciste.

2. Les cours de tam-tam

Un jour, Julien découvre qu’il existe des cours de tam-tam en ville et il décide d’aller voir à quoi cela ressemble, car il est vraiment attiré par le jeu des percussions. Nicolas, le professeur de tam-tam est un gars sympa, il l’invite à venir faire un cours d’essai. Julien est directement subjugué et enthousiasmé par cette musique et décide de s’y inscrire. Il y a évidement des jeunes hommes et jeunes femmes qui sont déjà présent et qui suivent régulièrement ce cours en groupe. 
Carla est une élève assidue de Nicolas et ce dernier semble avoir beaucoup de plaisir à lui donner des cours – sans doute à cause de son physique agréable de fille exotique. Il semble même qui lui fasse des avances, de façons quelque peu détournées, mais visibles quand même. A la fin des cours il propose toujours de la raccompagner, mais elle ne semble pas vouloir céder. Un jour, Nicolas se fait plus insistant – sans doute à cause de son niveau de testostérone du jour, et il essaie vraiment de pouvoir l’embarquer. Julien se trouve là, témoin et spectateur passif de la scène. Carla semble agacée et vraiment décidée à envoyer balader Nicolas en lui balançant ses quatre vérités, mais au lieu de cela, elle prend la main de Julien et l’invite à partir avec elle. Bouche bée, Nicolas regarde le couple s’en aller, sans pouvoir dire le moindre mot. Julien se laisse embarqué, perplexe, mais envouté par le charisme et la beauté de la jeune femme.
« De toute façon ce n’est pas un problème pour lui, dit Carla à Julien, car il fait ça avec toutes les nanas. »
Arrivé à quelques pâtés de maison plus loin, Carla s’excuse et remercie Julien de l’avoir accompagnée ainsi et de l’avoir aidé à échapper à l’emprise ce don juan de Nicolas, qu’elle apprécie beaucoup en tant que professeur de musique, mais dont elle n’a aucun intérêt sur le plan sexuel. Julien est bien entendu immédiatement tombé amoureux de Carla dés l’instant où elle lui a pris la main, mais étant fidèle à lui-même, il se trouve maintenant comme un idiot en face d’une bombe et il est en train d’imaginer plein de choses dans un instant aussi court que sa respiration. Comprenant son désarroi et sa grande détresse. Carla prend l’initiative de l’embrasser.
« Tu veux bien me raccompagner chez moi, demande Carla ? »
Plutôt mourir que de louper ça, Julien, reprend son souffle et dit : « Oui. »
Inutile de préciser que la première relation sexuelle d’un jeune homme de dix huit ans ne sera pas forcément une réussite. Le bougre a mal et il se demande comment on peut aimer ça. Comme il est fier, il fait croire à sa partenaire que tout va bien et grâce à cela, la relation se termine plutôt bien. Après avoir fait l’amour avec sa première conquête, Julien se retrouve nu dans le lit d’une presque inconnue qui doit avoir au moins vingt-cinq ans et qui ne semble n’avoir aucun tabou sexuel. Il se sent gêné de rester là et à découvert. Il tente de cacher ses attributs et sa compagne l’en empêche.
« Pourquoi fais-tu cela, demande-telle ? C’est la nature. Laisse-toi aller ! N’aie pas peut d’être un homme. »
Julien s’endort, heureux comme un petit enfant, ou plutôt enfin un homme.
Le lendemain, Julien se retrouve en ville et il doit rentre chez lui. Il marche vers la gare et il a mal à son entre-jambe, car il se trouve que son inexpérience en la matière de sexe et son éducation religieuse stricte, on fait de lui un ignare complet de la matière et il sent qu’il va devoir s’y mettre sérieusement s’il veut pouvoir prétendre à une vie normale d’homme adulte. Il a vraiment l’impression d’être devenu un homme soudainement, enfin. Il ne sait pas trop à quoi cela rime vraiment, mais il est partagé entre la fierté et la douleur qui l’oblige à marcher comme un cow-boy qui vient de faire cent kilomètres à cheval.

3. La présentation aux parents

Il est évident que Julien est fou amoureux de sa dulcinée, bien qu’il ne sache quasiment rien d’elle. Carla est une très belle jeune femme avec des yeux clairs et des cheveux foncés. Elle semble être une métisse afro-européenne, mais il ne connait pas sa vie. En arrivant chez lui, Julien se prépare à aller dormir et il ne peut pas s’empêcher de penser à cette belle qui lui a fait faire un pas vers la vie d’homme. Il visualise le visage de la belle et soudain il se souvient du rêve de la vouivre. Alors qu’il était prêt à s’endormir, il se lève d’un bon et va consulter la carte géographique. Il découvre que l’appartement de Carla qui se trouve en ville, est précisément en alignement avec l’endroit où la vouivre s’était manifestée dans son rêve. Carla serait la fille qu’il a vue dans son rêve. 
Le lendemain, Julien est sur un tracteur, il doit s’occuper du champ d’herbe pour le bétail. Bien entendu, toute son attention est portée sur la belle Carla, dont il est totalement à genoux. Il se demande comment va se passer la suite. Y aura-t-il une suite ? Va-t-il pouvoir retourner aux cours de percussions chez Nicolas, sans sensation de malaise ? Est-ce que Carla a un intérêt pour lui à long terme ? Tout cela le mine, mais il se sent bien, car il est enfin devenu un homme.
Alors qu’il est toujours en train de faucher l’herbe, son téléphone portable retentit. C’est Carla.
« Allo ! 
– Salut mon chéri, j’ai toujours envie de toi et toi tu en penses quoi de tout ça ?
– Oui, bien sûr, quelle question ! J’ai trop envie de toi moi aussi.
– Quand est-ce qu’on se voit, pacque juste une fois par semaine après les cours de percussions, ce n’est pas assez pour moi.
– Ben non c’est clair, pour moi non plus.
­– Bon alors, ce soir, on se voit, ça te dis ?
– Oui, ce soir, je viens. »

Carla est la fille d’un artiste italien et d’une mère qui vient du Bénin. Son père est un musicien de jazz qui voyage par le monde et sa mère est une véritable maman qui donnerait sa vie pour ses enfants. 
« Ma mère est une guérisseuse, dit Carla à son nouvel amant, elle est capable de soigner des gens avec des pratiques vaudous. »
Julien se sent mal à l’aise, il a soudainement trop chaud et il est tout pâle.
« Qu’est-ce qui t’arrive mon chéri, lui demande Carla, tu n’est pas l’air bien ? »
Les pensées les plus angoissantes envahissent soudainement l’esprit de Julien, Comment peut-il être tombé sur cette personne dont il est éperdument amoureux, mais qui n’a pas la bonne couleur et surtout pas les bonnes croyances, ceci du moins selon l’avis de sa famille sacrée.
« Mais le vaudou c’est de la sorcellerie, de la magie noire, dit Julien. 
– Cela ne veut rien dire, dit Carla. La magie n’est ni noire, ni blanche, ou ni bien, ni mal, elle est juste magie et cela échappe à l’esprit rationnel. Ma mère est capable de soigner des gens, mais ce n’est pas une sorcière, c’est juste une femme qui a ce droit et ce pouvoir d’utiliser son énergie féminine qui est très puissante pour apporter la guérison. La religion chrétienne a écarté les femmes du pouvoir à cause de leur faculté de soigner sans médecine. Toutes les mamans possèdent naturellement le secret de la guérison, mais les patriarches ont décidé de les condamner pour pouvoir abuser du privilège de la reconnaissance de l’esprit divin soi-disant masculin. Les hérétiques sont les religieux et ils ont bien réussi leur coup. »
Là, julien est vraiment mal. Comment va-t-il faire pour transcender la vérité absolue du seul bon Dieu – en l’occurrence le sien, avec des croyances animistes provenant de pays aussi sombre que la nuit ?
«  Toutes ces choses ne sont pas nécessaires lorsqu’on a la foi, dit Julien, pourquoi devrions-nous pratiquer des formules diaboliques alors que nous avons le Seigneur qui nous protège et nous soigne ?
– Le vaudou est mal perçu par la religion chrétienne, parce qu’il apporte des solutions directes, mais les gens qui pratiquent le Vaudou, ne sont pas moins bons que des chrétiens capitalistes et persuadés de connaître la seule vérité universelle qui soit à jamais. Le Clergé a tout intérêt à écarter les médecines naturelles, car celles-ci sont irrationnelles, mais pourtant très efficaces. »

Les parents de Carla sont des humains très humanistes, ils sont même adorables. Julien est directement accueillit comme un membre de la famille, sans aucun préjugés et aucune retenue. Les parents de Julien sont des protestants intégristes, racistes et persuadés de faire partie de l’élite des humains. Carla est directement rejetée par le clan et considérée comme une négresse qui va tout piquer l’héritage familial. C’est assurément un choc frontal. Carla va-t-elle supporter cela ? Apparemment elle est très amoureuse de Julien et elle n’est pas prêtre à laisser tomber l’affaire.
Les mois passent et le malaise s’installe dans la famille de Julien, qui est bouleversé par le fait d’aimer cette femme qui a six ans de plus que lui et qui n’est pas du tout dans le modèle de compatibilité imposé par ses parents. Il semble que le père soit le plus rigide dans l’affaire. La mère paraît être plus portée à accepter un compromis. Il s’agit du bonheur de son fils. Du côté du père, il n’y a rien à faire. Cette femme est plus âgée que son fils, elle n’est pas chrétienne et en plus elle est basanée. C’est une situation impossible. 
Julien prend son courage à deux mains et décident de faire front face à son père qu’il a toujours craint jusque là.
« J’aime cette femme et je veux l’épouser, dit Julien.
– Tu sais bien que ce n’est pas possible, dit le père. Ces gens là n’ont pas la même mentalité que nous et cela ne fonctionnera jamais.
– Alors j’irai faire ma vie et tant pis pour vous.
– T’es devenu fou, ou quoi ? Tu viens à peine de tremper le pinceau et tu prétendrais connaître les femmes. Tout ce qu’on t’as appris et tout le mal qu’on s’est donné pour toi, tu y pense à ça ?
– Je pense surtout que vous êtes bornés, spécialement toi avec des principes, des préceptes et tes dogmes. Je ne veux plus de cette vie de merde. »
Julien s’en va et claque la porte. Son père est démoli. Comment son fils a-t-il pu lui faire ça ? C’est une trahison.
4. Chez Carla

Julien emménage chez sa chérie. Rien ne compte désormais, si ce n’est l’amour qu’il a pour sa première conquête qu’il espère garder toute sa vie. Il n’a plus de contact avec son père qui garde sa position rigide. Sa mère fait des pieds et des mains pour assurer le tampon et trouve des excuses pour aller voir son fils.
Carla est une jeune femme qui a apparemment déjà vécu des expériences amoureuses, mais c’est une personne très honnête et elle veut vraiment garder son amant et assurer sa vie avec lui. Elle est secrétaire médicale et elle est très capable d’assumer pour les deux s’il le faut. Julien est désemparé, car son travail de fermier est la seule chose qu’il connaît et s’il persiste à se maintenir dans cette situation, il va devoir envisager de faire autre chose.
« Est-ce que tu m’aimes, demande Carla à son jeune amant ? »
Cette question que posent généralement les femmes est quelque chose de primordial, car celles-ci ont naturellement besoin de parler ainsi, même si dans le fond elles connaissent la réponse.
Le problème de l’histoire de ce couple, se situe avant tout dans le choc des cultures. Les pratiquants de vaudou n’ont aucun problème pour intégrer les saints chrétiens ou n’importe quelles autres divinités dans leur système, alors que du côté des bons protestants cela n’est pas du tout possible.
Carla semble être une personne très pure et capable de voir les choses de façon très subtile. Un soir, après avoir fait l’amour, le couple entame une discussion quelque peu houleuse sur le sujet de la spiritualité. Le choc des cultures provient peut-être de l’éducation parentale, mais nous sommes censés avoir notre propre raisonnement et il semble que Julien soit totalement formaté par l’influence que lui a laissée sa famille.
« Tu n’as jamais eu des perceptions qui contredisent ta religion, demande Carla ?
– Pas vraiment, mais j’ai fait un drôle de rêve il y a quelques années et il semble que je t’y ai vu.
– Ce n’est pas étonnant, ce genre de chose arrive tout le temps, mais on n’y prend pas garde.
– Dans mon rêve, il y avait une sorte de dragon ou de vouivre qui sortait de la terre, continue Julien, et elle ma donné un sceptre.
– Oh, là je te suis bien, répond Carla, elle t’a donné un véritable sceptre d’étalon, je le confirme. (Rires)
– Non, il ne s’agit pas de ça. C’est une sorte de faculté de voir, ou plutôt d’entendre à distance ou par télépathie.  La vouivre m’a donné une direction et j’ai pointé le sceptre dans cette direction et c’est là que je t’ai vu. Je suis allé voir sur une carte géographique et cela amenait précisément ici, chez toi. Depuis combien de temps habites-tu ici ?
– Six ans.
– Mon rêve s’est passé il y a quatre ou cinq ans, je ne sais plus trop, mais cela prouve que c’était bien toi, sinon je ne vois pas ce que cela peut-être. »

Le lendemain, nous nous rendons chez Alaya la mère de Carla qui nous a préparé un petit repas et c’est là que nous entamons la discussion sur le sujet de la vouivre et des lignes de réseaux.
« Chez nous en Afrique, nous utilisons ces lignes pour communiquer à distance. C’est quelque chose qui à l’origine est tellement naturel, que nous avons oublié de le transmettre aux jeunes. On peut essayer, si vous le voulez, je peux vous montrer comme ça marche, dit Alaya. »
Elle nous emmène à l’extérieur et nous conduit dans un parc naturel. Elle demande à sa fille de s’éloigner de plus de dix mètres et demande à Julien de la suivre. Elle cherche à trouver une ligne en se déplaçant de gauche à droit et soudainement elle s’arrête. Elle demande ensuite à Julien de s’écarter de trois mètres, tout en gardant la distance assez éloignée de Carla. Elle s’écrie : « Vous êtes prêts ? » Carla et Julien hochent la tête en signe d’approbation, bien qu’ils ne comprennent pas encore les sens de la situation.
« Je suis maintenant sur la même ligne de son que Carla, dit-elle à voix forte, et Julien est en dehors du réseau. Je vais parler à voix très douce à Carla, de façon à ce que Julien ne puisse pas nous entendre et comme nous sommes sur la même ligne de réseau, Carla pourra aussi me parler tout doucement et Julien ne pourra rien entendre du tout. »
Et il s’entame une discussion entre Carla et sa mère, et Julien n’entend quasi rien de ce qu’elle se raconte. Il perçoit des sons, mais ils ne sont pas assez clairs et compréhensibles pour qu’ils puissent être traduits en langage.
« Vois-tu, dit Alaya à Julien, ce genre de chose est naturel chez les peuples qui vivent en nature. Il semble que ce que tu as reçu comme don, soit une capacité d’explorer les réseaux à des distances plus élevées. Pour cela il faudrait faire un travail qui utilise la magie.
– Je ne suis pas sûr de vouloir faire cela, répond Julien. J’ai très peur de ces choses là, à cause de mon éducation.
– C’est vrai, je ne peux pas te forcer, dit Alaya, mais cela pourrait être une opportunité de te connecter avec ton père et de régler ce problème stupide qui vous empoisonne la vie à tous les deux. Comme tu sais tracer la ligne depuis la maison de ton père, jusque chez ma fille, tu pourrais t’approcher de ton père et d’abord voir ce qui se passe dans son esprit. »
Alaya semble avoir non seulement raison, on dirait que Julien est convaincu et qu’il doit effectivement faire quelque chose de ce genre.
« Le problème est que je n’ai aucune notion de ce genre de pratique et que mon rêve est resté dans un tiroir top secret et que je n’en ai jamais rien fait, dit Julien. Comment pourrais-je exploiter cela ?
– Je peux t’aider, dit Alaya. Je dois d’abord donner quelques informations à Carla en privé et ensuite, nous devons nous voir dans quelques jours pour effectuer un rituel. Je viendrai chez Carla et nous ferons ce travail ensemble. »

Le couple rentre à la maison et Julien, très curieux d’en savoir plus, se met à harceler Carla de questions, pour savoir ce que lui a dit sa mère, mais elle détourne la conversion en lui faisant comprendre qu’il doit lui faire confiance et qu’il ne doit surtout pas savoir ce qui l’attend. La nuit arrive, les amoureux vont se coucher et comme ils en sont encore au premier temps de leur vie de couple, les ébats durent longtemps, au point qu’ils font des pauses et recommencent plusieurs fois. Julien s’étend sur le dos, avec l’impression d’avoir bien accompli son devoir conjugal. 
Il a terminé sa noble et tendre besogne en murmurant des mots d’amour accompagnés d’interminables caresses, et donc il se dit que de s’endormir à ce moment là serait parfait. Sa partenaire ne devrait en tous cas pas souffrir du délaissement que font certains hommes lorsqu’ils ont eu leur compte et qu’ils s’endorment sans scrupule, juste après le coït. Ses yeux se ferment et les images de rêves apparaissent. Carla le prend par l’épaule pour le faire tourner vers elle. Cela le réveille. Il est surpris, mais ne dit pas un mot. Carla le fixe du regard et il croise ses yeux qui semblent vouloir lui dirent quelque chose, mais elle ne parle pas. Il se demande ce qu’elle veut et il a soudainement l’intuition qu’il va se passer quelque chose en relation avec les instructions que sa mère lui  a données. 
Carla fixe son amant dans les yeux et il semble qu’il veuille se mettre à parler, mais elle lui fait comprendre qu’il faut qu’il reste silencieux. Soudainement il entend la pensée de Carla qui lui demande simplement s’il l’entend. Il rompt le silence, car l’expérience est trop extraordinaire pour qu’il reste ainsi sans pouvoir l’exprimer à haute voix :
« C’est incroyable j’ai entendu ta pensée et tu me demandais si je t’entends. 
– Oui, c’est de la télépathie. Ma mère m’a simplement dit que nous devons apprendre à communiquer sans parler. Par le regard nous pouvons échanger des pensées. En fait, tout le monde peut faire cela, mais nous sommes trop habitués à utiliser le langage verbal, car c’est clair que de cette manière nous gagnons du temps et nous pouvons développer la communication en profondeur. Pour que la communication non verbale puisse fonctionner, il faut soit regarder la personne dans les yeux, soit utiliser les lignes de réseaux telluriques. »

5. Communication avec Jean-Bernard

Le père de Julien est un agriculteur qui possède un don de voyance, mais qui le réfute, à cause de sa religion. Le fait que son fils puisse non seulement être avec une étrangère qui de plus n’est pas de sa confession, lui est insupportable. Il est persuadé d’être quelqu’un de juste, mais il lui manque cette souplesse dont l’humanité a pourtant vraiment besoin. Jean-Bernard est un médium, mais il refuse qu’on lui parle de ses choses là et il s’enferme encore plus dans la religion lorsqu’il sent que ce phénomène l’approche. Lorsqu’il était petit, il avait l’habitude de faire des rêves prémonitoires et il voyait des choses du futur à l’échelle mondiale. Cela étonnait son entourage à tel point que des gens venaient régulièrement le consulter. Endurcit de concepts et de dogmes chrétiens, il s’est réfugié dans le clan des capitalistes protestants avec la ferme intention d’imposer sa vision du monde à son entourage.
Marie, sa femme, est l’épouse idéale pour ce genre de macho au cœur tendre, mais à l’ego démesuré. Elle fait tout ce qu’il veut, comme il veut et ne se met jamais en travers de son chemin. Cette fois la situation prend un autre chemin, car Marie souffre de cette situation qui ne semble pas pouvoir trouver d’issue. Elle décide pour la première fois depuis trente cinq ans de mariage, de faire face à son mari et de l’affronter sur un terrain extrêmement sensible. Un jour, elle entre dans son bureau, alors qu’il est en train de faire du tri dans ses factures.
« J’aimerais te parler, dit-elle d’une voix calme, mais d’un ton très austère. »
Jean-Bernard n’a jamais vu sa femme oser pénétrer ainsi dan son bureau, qu’il en reste bouche bée pendant plusieurs secondes.
« Bien sûr, mais de quoi veux tu parler ?
– Tu le sais très bien.
– Mais non, je ne vois pas !
– C’est à propos de Julien et tu le sais parfaitement.
– C’est qui Julien ?
– Je ne plaisante pas. »
Jean-Bernard hausse les épaules et fait mine d’avoir d’autres chats à fouetter.
« Qu’est-ce que tu veux que je fasse ? Il est majeur et vacciné et il fait sa vie.
– Je ne suis pas d’accord que tu puisses l’ignorer à cause d’une histoire de religion et surtout à cause de ton penchant pour le Klu klux klan.
– Mais tu es folle, je n’ai aucun lien avec ces choses là.
– Pourtant tu démontres bien que tu n’aimes pas les gens de couleur.
– Oui, mais ça n’a rien à voir avec de l’extrémisme. Ces gens sont bien sympas, mais ce sont des fainéants et des assistés en permanence. Je n’ai rien contre eux, mais je ne veux pas me mélanger avec eux, c’est simple.
– Tu dis que ce sont des assistés et pour l’instant c’est ton fils qui est assisté par cette jeune femme et c’est une charmante personne. »

Julien a trouvé un job comme livreur, mais sa compagne a plus de revenu que lui. Son père est persuadé que la race blanche est suprême et parfaite, alors que son fils est soutenu par une métisse. Cela le met hors de lui.
« Il va falloir que tu acceptes de voir les choses différemment, lui dit Marie.
– Et pourquoi devrais-je voir les choses différemment ?
– Parce que nous vivons à une époque différente de celle dans laquelle tu as baigné depuis ta jeunesse et qui est désormais révolue.
– Pourtant pas pour moi.
– Alors tu risques de te retrouver seul.
– Tu veux me quitter ?
– Non, mais tes autres fils se font de plus en plus rare ici, à cause de ce que tu fais subir à Julien.
– Non mais ! C’est le monde à l’envers. C’est moi qui fais subir des choses à Julien ? Tu n’es pas sérieuse là !
– Eh bien, tu es gentiment en train de retomber sur ton cul, car cela fait deux semaines que tes autres fils ne t’ont pas rendu visite et tu voudrais me faire croire que tout va bien dans le meilleur des mondes.
– Mais qu’ils aillent au diable, s’ils ne sont pas content c’est le même prix !
– Ah vraiment ? C’est super alors ! Monsieur le bigot, grenouille de bénitier qui ne jure que par le bon Dieu et qui n’a de vrais amis que des bons protestants, est en train d’envoyer ses fils au diable. On aura tout vu.
– Oui, bon, c’est une façon de parler.
– Alors justement c’est pour cela que je suis ici et je dois quand même te dire que tu es certainement un très bon époux, mais tu crois que tu es parfait et ce n’est pas le cas. En tant que père tu as des responsabilités et ce n’est pas le bon Dieu qui va faire ces choses à ta place. »
Marie reprend son souffle et elle continue :
« Je l’ai appelé aujourd’hui.
– Le bon Dieu ?

– Mais non, ton fils, pardi !
– Qu’est-ce que tu veux que je fasse ? Je ne vais pas me reconvertir au vaudou et danser cul nu avec des nègres pour faire plaisir à ma famille.
– Il te suffit d’accepter les choses et arrêter avec tes tests de compatibilités. Ce sont des vieilles bigoteries et ça nous fait honte à tous. Cette jeune femme que ton fils aime, est une personne cultivée, c’est une métisse et tu ne peux pas la traiter comme ça. C’est un être humain au même titre que toi. »

Là, c’en est beaucoup trop. Vert de colère, Jean-Bernard quitte son bureau en claquant la porte. Marie éclate en sanglot et part se réfugier dans son petit coin prés du foyer où se trouve son chat qui s’approche pour la consoler. Elle aime son mari, mais elle ne comprend pas comment il peut être raciste et surtout aussi coincé dans son dogme de protestantisme démodé. Il ne lui reste plus qu’à prier le bon Dieu pour qu’il se passe quelque chose. C’est un comble de devoir prier le bon Dieu pour qu’une personne arrête de trop le vénérer, mais c’est pourtant ce qui se passe.
Jean-Bernard est sortit prendre l’air pour se calmer. Il aime sa femme, mais son éducation patriarcale machiste a fait de lui qu’il entretient le privilège d’être le roi dominateur de son clan. Il ne s’en rend pas compte, car il est persuadé que les choses sont parfaitement normales, naturelles et justes. Il fait le tour de la maison et il arrive dans le verger pour y faire quelque pas. Il remarque qu’un trou à été creusé et un bâton sculpté en forme de sceptre a été planté à cet endroit. Il n’avait jamais remarqué cela. Il faut dire qu’il ne va jamais au verger, qui est l’endroit fétiche de Julien depuis des années. Il s’approche du sceptre et ressent une sensation étrange. Cela lui rappelle ses rêves et ses facultés de visions qu’il réfute toujours. Il arrive sur la ligne de réseau et entend son fils dans ses pensées. Il l’appelle :
« Papa ? Tu m’entends ? »
Jean-Bernard est troublé, il est persuadé que son fils communique avec lui à distance, car ses qualités de médium se sont réveillées subitement et elles ont pris une telle ampleur qu’il comprend le phénomène dans sa totalité. La vouivre lui apparaît avec le sceptre qu’elle a transmis à Julien dans son rêve et il voit aussi que son fils est actuellement chez sa compagne avec sa mère qui amplifie le champ d’énergie avec des incantations. Il est bouleversé et il se met à pleurer comme un enfant.
Il retourne vers son épouse, la prend dans ses bras et lui dit qu’il va l’emmener voir Julien sur le champ. Aussitôt elle comprend qu’il s’est passé quelque chose et elle le met sur le compte du Bon Dieu. Après tout, sa prière était peut-être efficace, qui sait ?

Ensemble, ils se mettent en route pour aller trouver Julien et sa nouvelle famille.

6. Epilogue

Cette histoire est véridique, bien entendu et elle ne fait que commencer. La réforme de la réforme, c’est ce qui permet à la spiritualité de garder la forme.

La religion a toujours besoin de réforme, car les dogmes vont forcément évoluer à mesure que l’on découvre de nouvelles vérités. La seule vérité qui semble absolue, c’est le mystère.

En acceptant que l’on ne sait pas, on a des chances d’accéder au savoir.

Lao Tseu a dit : « Celui qui parle ne sait pas, celui qui sait ne parle pas ! »

Pourquoi celui qui sait ne parle pas ?
Sans doute parce que la parole ne traduit jamais vraiment l’image.

Jean-Marc Baudat

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(Texte inspiré d'un cours suivi avec Bernard Werber en relation avec les arcanes du Tarot)

Avant de commencer le travail, nous avons fait une sorte de voyage chamanique et c'est là que j'ai vu la vouivre avec son sceptre.

Il est clair que le personnage de Jean-Bernard (le père) est une allusion à Bernard Werber en tant que mentor et en relation avec mon premier prénom.


Julien c'est le Chariot (à g.)
Son problème de solitude c'est l'Ermite (à dr.)
La solution c'est Carla, le diable (en h.)
L'intrigue c'est le conflit culturel - L'étoile (en b.)
L'aboutissement c'est le monde au centre


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